Pensées vers Krishnamurti ce matin.
Toujours ces histoires d’exercice.
Faire des exercices.
Méditer.
Faire l’arbre.
Faire sa petite routine d’arts internes.
Adolescent, j’avais compris ce que Krishnamurti voulait dire quand il évoquait les gens qu’il voyait « pratiquer » dehors dans les parcs.
Askêsis…
Le mot ascèse nous vient du grec ancien.
Il signifie exercice, entraînement
S’astreindre, s’obliger à des exercices, apparaissait à Krishnamurti comme dérisoire sur le chemin de la libération. Il n’utilisait pas ce qualificatif peut-être. Ma mémoire n’a retenu que l’esprit de son regard sur la question.
Il considérait ainsi que, contrairement à ce que pouvait en attendre de tels pratiquants, tous les exercices plus ou moins compliqués, plus ou moins durs, plus ou moins douloureux, plus ou moins longs, ne constituent pas le meilleur moyen de « se libérer du connu ».
J’avais compris cela intellectuellement à la première lecture.
Oui, une illumination purement intellectuelle…
Mais par la suite, dans ma vie, je n’ai cessé d’astreindre mon corps et mon esprit à différentes formes d’auto-disciplines.
Je me suis entraîné dur.
J’ai nagé longtemps. Des heures et des années de ma prime jeunesse dans des bassins de compétiteur.
J’ai couru dès potron-minet. Des kilomètres engloutis jusqu’à plus soif.
J’ai su rester immobile une heure face à la mer, debout, dans la position de l’arbre.
Époque Dacheng Chuan et Qi Qong.
J’ai su rester aussi une heure devant un mur blanc, en demi-lotus.
Un moine s’est levé parfois et, à ma demande, est venu frapper d’un coup sec chacune de mes épaules.
Kyoooooooosaku !
On se recentre !
Époque Zazen.
Peut-être certains êtres comme Krishnamurti ont atteint un niveau de libération tel que tout cela ne les concerne plus.
Peut-être la plupart des gens comme moi, doivent en passer par les exercices pour mieux s’en libérer.
Aujourd’hui, ma pratique a changé. Mes pratiques.
Et je mesure à quel point tous ces exercices ont été nécessaires malgré tout.
J’entre dans une approche naturelle, spontanée, dépouillée de ces différentes disciplines auxquelles j’ai soumis mon corps comme mon esprit.
L’esprit Shikantaza.
Juste s’asseoir.
Qui peut être aussi un juste marcher.
J’entre en méditation sur ma chaise, le matin, après avoir repoussé mon bol de café.
Sans zafu, ni kimono, ni kesa.
En forêt, je m’immobilise spontanément, debout, longtemps.
Je laisse venir ensuite les mouvements.
Les plus simples.
S’ils doivent venir.
« Une technique, dix mille techniques » dit l’adage des arts martiaux.
A la plage, je décide soudain, passé la première bouée, sans l’avoir programmé, de nager longtemps. Longtemps.
Ou pas.
Je suis un fainéant qui a beaucoup travaillé.
Les exercices, donc.
Savoir s’en débarrasser à un moment.
L’histoire du radeau, métaphore du bouddhisme.
A quoi bon s’encombrer encore d’un radeau une fois le fleuve traversé ?
Je ne dis pas que j’ai atteint l’autre rive.
Je n’ai croisé aucun humain sur cette terre qui pourrait oser avancer pareil constat.
Personnellement, je navigue encore à vue alors que je boxe désormais en catégorie senior.
Mais l’esprit de la spontanéité et du naturel s’impose à moi aujourd’hui.
Passer du lâcher prise au laisser être…
C’est peut-être l’âge précisément qui veut ça.
Mais oui, Krishnamurti a bien raison.
Les exercices, les ascèses, ne sont pas une condition sine qua non pour se relier.
A quoi ?
À chacun ses mots.
L’Atma, L’Esprit, le Moi profond, la nature de Bouddha, le Moi christique, le Maître intérieur…
Pour un Krishnamurti, il y a bien sûr des millions de gens comme moi qui doivent travailler dur leurs arpèges avant de réussir à improviser leur propre musique.
Mais là où Krishnamurti a bel et bien raison : trop d’ascèse tue l’ascèse.
Trop d’exercices tue l’exercice.
Tel fut le chemin de Siddharta Gautama, saddhu parmi les plus zélés se libérant soudainement de ses ascèses sous un banyan.
Cette expérience spirituelle allait promouvoir la forme de méditation la plus simple et la plus universelle qui existe : la méditation sans objet ou Dhyâna. Pourtant, les hommes qui s’en saisiront dans son sillage, ne pourront s’empêcher de la ritualiser à l’extrême, que ce soit dans le bouddhisme indien ou dans le Zen.
Pensées vers Krishnamurti ce matin : il faut savoir arrêter de planifier sa vie en exercices.
Il faut devenir l’exercice.
S’éveiller c’est tourner le dos à toutes les formes d’attachement.
S’attacher à ses exercices en vue de trouver l’éveil est donc une contradiction qui voue le projet à l’échec.
L’attachement est le piège.
Le plus grossier qui existe.
Et pourtant, celui qui nous attrape tous.
Tout apprendre pour mieux tout oublier.
C’est pourquoi le sage, l’être réalisé, a bien souvent les apparences du simplet.
Du simple d’esprit.
Han Shan, The fool on the hill des Beattles, en est un parfait exemple.
Cet homme a existé.
À relire le sérieux d’un tel texte, je me dis que le chemin sera encore long pour moi.
La rive promise est une ligne bien ténue, si floue, qui semble reculer à chaque soi-disant progrès.
Peu importe, pourvu que je puisse me relier plus souvent.
Communier plus naturellement.
Plus facilement.
J’accepte mon chemin et sa temporalité.
De l’autre côté de la rue, le temps d’écrire ce texte un brin pompeux, le chant joyeux d’un merle.
Mon cœur chante avec lui.
Cette rencontre, spontanée et éphémère, est bien plus importante que n’importe quelle forme d’exercice.
Chante encore petit merle.
Tu me rends vivant.
Mais le fou de la colline,
Voit le soleil se coucher
Et les yeux dans sa tête
Voient le monde tourner…
Nice, le 12 juillet 2020
Day after day, alone on a hill
The man with the foolish grin is keeping perfectly still
But nobody wants to know him, they can see that he's just a fool
And he never gives an answer
But the fool on the hill sees the sun going down
And the eyes in his head see the world spinning around
Well on the way, head in a cloud
The man of a thousand voices talking perfectly loud
But nobody ever hears him or the sound he appears to make
And he never seems to notice
But the fool on the hill sees the sun going down
And the eyes in his head see the world spinning 'round
And nobody seems to like him, they can tell what he wants to do
And he never shows his feelings
But the fool on the hill sees the sun going down
And the eyes in his head see the world spinning 'round (oh oh oh)
'Round and 'round and 'round and 'round and 'round
And he never listens to them, he knows that they're the fools
They don't like him
The fool on the hill sees the sun going down
And the eyes in his head see the world spinning 'round
Oh ('round and 'round and 'round and 'round)
Oh
THE FOOL ON THE HILL, The Beattles (1967)








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