Et si notre poursuite de la guerre, à chaque fois que nous frôlons la paix, tenait à une inscription biologique, l’apoptose ?


Guerre et apoptose, apoptose humaine. 

Et si dans le phénomène de guerre il y avait aussi celui de l’utilité ? La biologie nous rappelle que l’apoptose consiste dans la mort des cellules qui, lorsqu’elles ont perdu leur utilité initiale, se suppriment, elles se suicident.

Cette utilité contribue au lien social. D’ailleurs nous connaissons ce phénomène de placardisation, utilisé dans les organisations, pour se débarrasser de quelqu’un en le privant progressivement de son rôle, de sa mission jusqu’à ses outils de travail, ordinateur, connexions et finalement son bureau. Abandonné par tous, isolé, pointé du doigt et se vivant inutile chaque jour, combien sont allés jusqu’au suicide ?

Ainsi, en tant qu’être humain, nous fonctionnons sur ce point comme nos cellules, si nous ne percevons plus d’utilité, nous nous laissons mourir. C’est souvent le cas des aînés, désœuvrés, coupés de leurs activités sociales et de leur proches, n’ayant plus rien à faire et d’utilité à apporter autour d’eux, ils se laissent glisser vers la mort. Et c’est également ce qui se passe pour certains retraités craignant l’inactivité et la perte de leurs capacités et encore une fois de leur utilité, ils dépérissent.

Alors, extrapolons.

Du faire à l’être, un questionnement sur l’utilité ?

Voyons comment chacun de nous, à sa manière, a besoin de servir à quelque chose, d’être utile. Certes, tout un chacun, n’est pas forcément au service d’une cause ou d’autrui, mais il recherche ce qu’il peut faire qui légitime sa présence sur Terre et son existence. 

La question qui se pose est alors particulièrement spirituelle. Lorsque nous écoutons les témoignages des méditants – qui souvent vivent en communauté et entretiennent leur domaine, donc sont utiles – qui allouent une grande part de leur journée à la méditation, à la prière, à la contemplation, qu’expérimentent-ils ?  Ils sont focalisés sur l’Être, sur la présence à ce qui est, est-ce qu’être a besoin de se traduire essentiellement par faire ? Les ermites sont la version la plus radicale de ce mode de vie contemplatif et qui n’est pas pragmatiquement utile à la communauté, puisque souvent ils vivent de sa charité. Mais ils ne sont pas vécus comme inutiles car ce qu’ils « font » sur les plans subtils et invisibles est apprécié, pour ceux qui ont la connaissance de l’impact de ces dimensions sur le réel, visible.

Nous pourrions nous demander si cette utilité « pragmatique » n’existait pas, qu’est-ce qui se passerait ? Est-ce que nous pouvons être pleinement présents, pleinement conscients, en communion, pleinement en paix, sans forcément avoir besoin de faire, d’une certaine manière, d’être utile ? Et sans avoir une appréhension de la paix comme pouvant être vécue comme l’immobilité et par conséquent une sorte de mort. Ceci tandis que toutes les traditions s’accordent sur le fait que la seule chose immuable c’est le mouvement de la vie ?

Ainsi, pour rester en vie, apporter une contribution au monde, certains seraient tentés par la violence, la destruction, la barbarie. Ceci peut paraître extrême. Toutefois, nous voyons que dans les disciplines qui constituent notre civilisation, comme la sociologie, le conflit, la crise, l’opposition sont « normaux » et synonymes de vitalité sociale.

Notre résistance d’espèce à la paix

Alors, la paix, en contre-point, si elle est vécue comme immobile, inerte, non-vivante peut, par extension, être perçue comme inutile et nous donner une sorte d’aversion viscérale inconsciente. La crainte de l’apoptose.

Peut-être y aurait-il alors une résistance d’espèce, une résistance biologique à ne pas être en paix de peur de perdre notre utilité ? Supposons que ce soit réel, c’est alors une inscription profonde, comme une racine antérieure à celle de nos intentions et de nos pensées, un message bien plus archaïque et de ce fait agissant fortement, à notre insu.

Prenant en considération que la paix puisse être la menace de notre apoptose d’espèce, nous comprenons mieux notre addiction à la violence, comme adrénaline de vitalité et de survie. Nous observons d’ailleurs que plus une société s’est installée dans le confort, grâce à l’éloignement des guerres son territoire et plus les personnes perdent leur courage, leur engagement (voir Fukuyama et la Fin de L’histoire ou Cynthia Fleury et son ouvrage sur La fin du courage[1]).

Nous comprenons en quoi ce moteur vers l’utilité et le mouvement peut également constituer un frein à la paix, quelque chose qui nous empêcherait d’arriver à être en paix tellement nous avons besoin de faire quelque chose, d’être utile, à être vivant, quitte à ce que cette utilité passe, paradoxalement, par la destruction. En effet, nous voyons celle-ci comme étant une des étapes du cycle de la vie, destruction/reconstruction. 

Changeons de focale

Est-ce qu’il pourrait y avoir un cycle basé sur la paix qui puisse se fonder autrement, notamment sur des évolutions qui ne soient pas destructrices et qui pour chacun, cherchant à exister, n’aurait pas besoin de détruire l’autre ? 

Si donc nous formons l’hypothèse que notre réluctance à la paix participe de cette crainte inconsciente d’apoptose humaine et conforte notre appétence et addiction archaïque à la guerre, alors nous pouvons dépasser ce frein à la paix.

En modifiant, consciemment nos représentations sur la paix et en reconnaissant son processus dynamique de co-élaboration entre acteurs aux positions radicalisées, nous voyons dans l’établissement du dialogue, le foisonnement fécond des contradictions qui se rencontrent pour coconstruire une réalité vivifiante, unifiée, intégrative. 

Le mouvement se retrouve dans le tissage des contradictions, la paix devient la finalité plutôt que la guerre et nous pouvons développer une créativité dédiée au vivant. Coconstruisons alors de nouvelles modalités de mouvement en nous basant sur un paradigme de paix.

Christine Marsan 7 novembre 2023


[1] La crise sanitaire ayant accentué les questionnements sur le sens et le travail, conduisant à des replis sur soi et des désengagements.

https://www.jean-jaures.org/publication/grosse-fatigue-et-epidemie-de-flemme-quand-une-partie-des-francais-a-mis-les-pouces/ ; https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-mercredi-26-octobre-2022-1883054 ; 

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