L’Anthroposcène go sane !

Oui, L’Anthroposcène, le retour.
Faux départ, certes. Mais pas mort-né.

Les raisons de cette longue parenthèse depuis les tous premiers post ne sont pas très intéressantes. Car elles sont personnelles. Des raisons professionnelles. Un triple confinement très boulot-boulot-dodo…

Le post du (grand) retour sera donc celui d’un billet d’humeur, comme on dit. Étant entendu que le projet de ce blog reste toujours attaché à la diversité des sujets et des exercices : rencontres, portraits, reportages, livres…

Puisque ce post doit être celui de la réanimation du blog, je me suis proposé de réinterroger son nom. L’Anthroposcène…
Le sens premier, je crois, j’espère, a déjà fait l’objet d’une explication claire à la faveur du tout premier post : Chroniques d’une Transition amorcée. L’Anthroposcène est un jeu de mot associant l’ère « géologique » dans laquelle la planète Terre et ses habitants seraient actuellement engagés, et l’idée, vieille comme mes robes, du destin de ces derniers pouvant se concevoir comme une véritable « comédie humaine ». Bref, du neuf et de l’ancien combinés pour évoquer ce nouvel acte pour le moins critique de la drama du genre sapiens. Celui dans lequel, s’il fallait encore prendre la mesure de la pertinence de cette nouvelle ère dite de l’Anthropocène, la « masse anthropogénique » a dépassé, ou est sur le point de dépasser (2020 +/- 6ans), celle de la biomasse. Une étude parue en décembre dernier dans la très sérieuse revue Nature. En clair, la masse totale de tout ce qui est et a été créé par l’Homme sera supérieure à l’ensemble de la masse de l’ensemble du vivant au plus tard dans 5 ans. Nous en reparlerons.

Revenons au mot « Anthroposcène » comme proposé ci-avant.
Je ne peux m’empêcher soudain d’entendre aussi : Anthroposane.
Détournement phonétique qui me renvoie immédiatement par association d’idées à un chef d’oeuvre de la Science-Fiction paru en… 1948.
Ok, à l’heure des super séries à la mode Netflix, ça fait méchamment old school. Et pourtant. Avec « Le monde des Ā », traduit alors de l’américain par un certain Boris Vian, l’auteur de SF A.E. Van Vogt met le doigt sur un projet humain qui n’est pas sans affinité avec le concept de pensée complexe cher à Edgar Morin : « L’Homme non aristotélicien dont toutes les pensées sont nuancées (jamais de blanc ou de noir pur) et qui cependant ne verse pas dans le cynisme ou la rébellion. »
Petite précision pour les non-mathématiciens, le symbole Ā signifie : qui n’appartient pas à l’ensemble A. Les mathématiciens le lisent « A barre », mais cela donne au final comme lecture du titre de Van Vogt : « Le monde des non-A ».

Bref. Pour ce qui allait devenir la trilogie du non-A, Van Vogt mobilise les thèses de la sémantique générale formalisées par le Comte Alfred Korzybski, et que je ne vais présenter ici qu’en substance : « En observant un processus naturel, un homme peut seulement en abstraire – c’est-à-dire en percevoir – une partie. » En d’autres termes : la limitation du « niveau d’abstraction » humain. La fameuse question observateur-observé. On a longtemps admis que sur les sciences dites molles, l’Histoire par exemple, les préjugés raciaux ou religieux, pouvaient influencer les auteurs. Relation observateur-observé dont on a longtemps cru qu’elle ne concernait pas les sciences exactes. On sait aujourd’hui que cela est faux : « tout expérimentateur scientifique est limité dans son aptitude à abstraire des informations de la nature par le système d’éducation qu’il a reçu chez ses parents puis à l’université. » On notera que la sémantique générale dérive elle-même du courant philosophique du nominalisme : la carte n’est pas le territoire. Le savoir d’un savant n’est jamais total.

Mais revenons à l’enjeu central de ce post : le détournement d’un jeu de mot par un autre jeu de mots. Le héros du monde des non-A est un homme égaré qui « entreprend la plus fantastique quête qu’un homme puisse faire, celle de sa propre identité ».

Or ce héros se nomme Gilbert Gosseyn.
Le jeu de mots est assumé par son auteur dont l’oeuvre relate la fable de Gilbert GoSANE, c’est-à-dire Gilbert « celui qui va sain d’esprit ».

Cette association d’idées à la veille d’une soi-disante libération à l’égard d’un virus furieusement créatif, me ramène une fois encore à cette maladie apparemment la plus incurable de l’être humain : celle de son esprit.

Tous les Héraclite, Socrate, Russell, Wittgenstein, Bachelard, Edgar Morin, Krishnamurti ou Van Vogt n’auront visiblement toujours pas réussi, en 2021, à nous faire quitter le confort facile d’une vision binaire ou idéologisée du monde.

L’Anthroposane donc, en lecture inattendue du titre de ce blog.
Partir à la conquête d’une santé qui serait celle de notre esprit. Lequel est le grand responsable de nos maux les plus terribles, de nos maladies les plus tenaces.
Guerre, prédation, pollution, extinction, génocide, violence, autoritarisme…
L’anthroposane : une utopie qui ne serait pas un lieu.

C’est toujours par jeu d’association autour de l’anthropos que je laisse le mot de la fin* à ce cher Diogène, qui nous rappelle bien avant Erasme qu’on ne naît pas Homme : « Alors qu’il sortait du bain, on lui demande s’il y avait beaucoup d’hommes (anthrôpoi) qui se baignaient; il répondit que non. Mais quand on lui demanda s’il y avait foule (okhlos), il répondit que oui. »

* Rapporté par Diogène Laërce sur Diogène de Sinope dans Vies est doctrines des philosophes illustres.