Eric Aechimann et Pascal Riché dans le dernier numéro du Nouvel Observateur, dressent une belle introduction. Ils énoncent, tous deux, une vérité partagée. Car comme le dit Descartes : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ».
« Nous ne savions pas. Tel est le récit qui prévaut aujourd’hui en matière d’écologie… À l’aube de la modernité, les hommes se seraient engagés dans la déforestation, dans la conquête économique du Sud, dans la course de l’industrialisation, ne pensant qu’au progrès de l’humanité et sans se rendre compte qu’ils altéraient profondément les conditions de vie de notre terre. À croire ce narratif, l’industrie aurait brulé du charbon et du pétrole, dispersé des produits dangereux, intoxiqué par les airs, empoisonné les rivières, souillé les océans… Sans que jamais personnes ne sonnent l’alarme. »
D’après ce récit, le réveil n’aurait commencé qu’au début du XX siècle. Ce qui signifie que désormais, nous serions parfaitement conscients des enjeux des limites planétaires, mais également que nous sommes prêts à les affronter avec détermination.
Or, l’impact du développement économique sur nos milieux naturels ne date pas d’hier.
- Dès 1833 ; le poète Alfred de Musset faisait des rimes « tout est balayé sur vos chemins de fer ; tout est beau, tout est grand, mais on meurt dans votre air. »
- L’état des forêts était suffisamment inquiétant pour que John Muir obtienne la création d’un parc naturel à la fin du XIX siècle.
- Quant au mécanisme du réchauffement climatique, il a été découvert par Svante Arrhenius en 1896 (prix Nobel de chimie suédois).
En réalité, 250 ans d’écologie nous ont alertés sur ce qui arriverait ! Ils sont plusieurs à avoir tenté de faire se faire entendre, de porter leur voix auprès du plus grand nombre. Autrement dit, on savait !
Nous faisons l’autruche, la tête dans le sable, obnubilés par nos gains financiers. Et si nous osions lever les yeux ? Et regarder en face les graves conséquences de nos actes ? Car nos visions sont biaisées.
Le fait par exemple, que le capitalisme soit vanté par des experts comme « le seul modèle qui ait résisté aux différents courants politiques de l’histoire du monde », nous fait fermer les yeux sur les nuisances qu’il produit. Cet excès de confiance en sa permanence et sa résilience, nous conduit également à sous-estimer les risques importants, notamment écologiques, et sociaux, qu’il entraîne. Et comme nous nous sommes remis des précédentes crises, nous croyons pouvoir tenir aisément les effets des futures.
L’art ? Vecteur d’émerveillement, au service d’une transition !
L’art a toujours été un formidable vecteur de changement. Littérature, spectacle vivant, musique ou cinéma participent à transformer l’imaginaire, notamment sur la question de l’écologie, par le biais de l’émerveillement ou l’anticipation.
Nous avons besoin dans un premier temps d’un art qui change notre regard sur le monde et qui révèle la raison d’être de l’humanité.
Il y a de l’art tout autour de nous ! Nous sommes entourés de poésie, le monde est poétique.
Il faut poser un regard attentif aux choses et un regard lent, pour voir émerger quelque chose de l’ordre du merveilleux. Contempler différemment ce qui nous entoure dans la science, dans le sport, dans une attitude.
Un arbre a des millions de choses à nous dire, une panthère, une montagne également, ainsi qu’une pierre faite d’atome. En effet, tous les protons de cette pierre ont été fabriqués au moment du big bang, ont été transformés dans des étoiles pour fabriquer l’atome particulier que nous avons devant nous, et qui est arrivé jusqu’à la Terre !
Tout à une histoire extrêmement incroyable dans ce monde exceptionnel. Nous sommes également une poésie, composé d’une centaine de milliards de colonies de cellules qui coopèrent de manière inconsciente.
Puis dans un second temps, nous aurons besoin d’un art qui permet de :
- Susciter des émotions pour éveiller les consciences et garantir le lien avec la terre.
- Préserver le patrimoine culturel et naturel avec : la permaculture forestière, l’installation de nichoirs, de ruchers, de lieux d’hébergement pour les insectes, la découverte de fermes paysannes… Car le paysan c’est l’artisan qui forme le patchwork de nos terroirs.
C’est au monde paysan que nous devons la biodiversité végétale issue de la sélection de semences adaptées à chaque terroir. Petite-fille d’agriculteur, je me souviens de la mission de mon grand-père « nourrir les hommes ». Ceux qui avaient souffert de la faim applaudissaient les politiques nationales d’après-guerre, qui assuraient du pain à tous les Français.
Pierre Rabhi , disait : « bientôt on ne se souhaitera pas ‘bon appétit’, mais bonne chance ! ». L’homme qui nous nourrit, nous fournit les vitamines et protéines indispensables à notre énergie vitale, est désormais celui qui nous empoissonne…
Comment en est-on arrivé là ? Tout est une question de choix politique et du modèle que l’on promeut.
Les artistes peuvent nous inciter à décaler nos points de vue sur l’environnement pour faire évoluer notre impact sur la biodiversité, favoriser sa restauration et valoriser les écosystèmes. En effet, l’art permet de penser autrement notre rapport à la nature. Il peut également nous aider à faire le deuil d’un modèle de civilisation où règne le mot d’ordre : « chacun sauve sa peau ! », sans se soucier du vivant.
Aristote serait le premier à souligner l’altérité entre l’homme et les autres êtres naturels. Le « phusis » s’oppose à la « techné », tout ce que l’homme fabrique. Et la « techné » ne fait que prolonger la « phusis » et elle est bornée par celle-ci. Elle ne créait pas un ordre propre. (Nouvel Observateur, une pensée écologique).
« L’idée d’un métavers à la Facebook, ça ne marche pas chez Aristote. La technique ne fait que parachever la nature. Il dit même que si la nature engendrait des maisons, elle le ferait comme le font les hommes. L’opposition frontale homme-nature, nature-culture ne viendra qu’avec les modernes (nous) ».
Pour compléter le raisonnement d’Aristote, l’art à un rapport beaucoup plus intuitif à la nature et au monde. Il peut exercer une influence énorme sur d’autres sphères.
Il peut former et mobiliser les responsables sur le passage d’une logique de compétition à une logique de coopération pour co-construire les solutions de demain. Il peut s’inspirer de la nature, et inspirera en retour les citoyens. On peut penser par exemple au biomimétisme, qui a été pratiqué par des artistes comme Léonard de Vinci, qui a créé des machines volantes en se calquant sur la nature.
Ce rôle de passeur entre la nature et les êtres humains se retrouve beaucoup dans l’art non occidental, souvent au travers de la figure de l’artiste-chaman. Certaines œuvres ont été révolutionnairesdans le monde de l’art, par leur forme ou le sujet traité. Mais il semble difficile d’imaginer comment l’œuvre peut dépasser ce statut de simple écho d’un monde qui avance sans elle.
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