Mais où sont-elles passées ?

Par Olivier ESCHAPASSE

Les femmes étaient majoritaires dans le milieu de l’informatique, jusqu’à dans les années 70. Dans les années 80, encore 40 % des diplômes informatiques étaient délivrés à des femmes en Europe et aux Etats-Unis. Et pourtant…

En 2018, une étude du Centre d’Information et Documentation Jeunesse (CIDJ) montrait que la mixité des métiers était réelle que pour 17% d’entre eux, c’est-à-dire que des femmes y étaient présentes au minimum à 40% des effectifs ! Dans le monde du numérique, elles ne sont aujourd’hui que 30%, toutes professions confondues, et, pour certaines spécialités, moins de 20% ! Pourtant, point besoin de biscoteaux pour développer un algorithme !

Parmi toutes les raisons qui pourraient expliquer cet état de fait, en voici quelques-unes remarquables et quotidiennes.

Déjà, ce n’est qu’en 1972 que Polytechnique ouvre ses portes aux femmes. 
Sur le plan sociologique, les études montrent qu’une profession se masculinise quand elle devient un enjeu sociétal majeur et c’est le cas du numérique. Inversement, elle se féminise quand elle perd du grade. C’est ainsi que les professions liées à l’enseignement, à l’assistanat ou aux soins sont de plus en plus massivement féminisées (avec les salaires revus à la baisse qui vont avec).
Sur le plan culturel, les stéréotypes des caractéristiques féminines comme la douceur, la patience ou l’empathie tiennent bon! Cela voudrait-il dire que leur contraire serait aussi vérité ? les hommes seraient brutaux, intolérants et enfermés dans un égotisme exacerbé ?
Plus grave peut-être, cela se fait avec la complicité des parents qui, contrairement à ce qu’ils font pour leur fils (61%), ne proposent pas les métiers de la tech à leurs filles (30%) ! Pourtant, si 56% des lycéennes disent être intéressées par l’informatique ou le numérique, seules 37% d’entre elles envisagent de s’orienter vers une école d’informatique ou une école d’ingénieur…
Une étudiante, pourtant intéressée par le métier d’ingénieur (comme sa mère), m’a dit que se retrouver dans une classe de Grande École à quelques filles au milieu d’une masse de garçons n’était pas une perspective très réjouissante ou attrayante pour elle! Ne plus avoir de copine, ce n’est pas drôle! Elle s’est orientée vers le droit.
Une autre, pourtant jeune, m’a raconté que son instituteur de primaire disait dans sa classe que les filles ne comprenaient rien aux Maths !
Résultat : si 57 % de l’ensemble des diplômés de l’enseignement supérieur sont des femmes, seulement 25 % ont obtenu un diplôme dans les filières du numérique, et 13 % de ces diplômées travaillent dans ce secteur.

Ceci est vrai dans toute l’Europe et, selon le rapport DESI 2020, seulement 18 % des spécialistes des TIC sont des femmes. C’est ainsi qu’elles sont absentes des parties hautes des hiérarchies et des salaires qui vont avec. Dans le Numérique, seulement 18,5% des responsables sont des femmes selon l’étude réalisée par l’organisation AnitaB.org en 2019 et dans la Silicon Valley, le fief de la Tech mondiale, seules 13% des femmes accèdent à des postes de management dans les entreprises technologiques, les entrepreneuses ne dépassant pas 7%.

Ce retard de la société est impensable à l’heure des grands mouvements de femmes. Elles sont présentes massivement dans la rue et sur les médias et rien ne bouge, ou alors à petits pas…
Avancer à petit pas, ça ne vous évoque rien ? On utilise cette expression pour parler de l’écologie et de la transition énergétique. En général on l’utilise pour masquer le fait qu’on ne fait rien…. Ou pas grand-chose.
Si on accepte cette association, peut-être que cela voudrait dire que la vérité vraie serait que ceux qui dirigent ne souhaiteraient pas que les femmes interviennent trop dans leurs instances ? Vinciane Despret et Isabelle Stengers, 2 philosophes belges dont la légitimité est internationale, l’ont démontré dans le milieu universitaire de façon très convaincante (Les faiseuses d’histoires, Ed  « Les Empêcheurs de penser en rond » 2011)!

J’oubliais : selon le baromètre de mars 2022 réalisé par Sista et Boston Consulting Group : en 2021, les banques ont prêté 1.6 fois plus aux créateurs de startups qu’aux créatrices ! Une femme a lèvé 3,4 fois plus en s’alliant avec un homme plutôt qu’avec une femme. Par ailleurs, l’étude révèle qu’aucune levée de fonds au-dessus de 50 millions d’euros n’a été effectuée en 2021 par une équipe 100% féminine. Ces équipes sont de manière générale 4,3 fois moins bien financées que les équipes masculines et la tendance s’aggrave.

 Pourtant, statistiquement, ils prendraient moins de risques…


Une association à connaître : WHAT06

Elles sont 20 bénévoles, salariées, startupeuses ou indépendantes. Elles ont fondé What06 ((Women Hackers Action TANK)  en 2016, en particulier pour promouvoir les métiers scientifiques et techniques auprès des femmes et des jeunes filles particulièrement sous-représentées dans le monde des nouvelles technologies.

Ainsi, elles ont organisé 3 hackathons réunissant plus de 100 personnes, un workshop sur l’Intelligence Artificielle : « Ladies IA night », initiation au Deep Learning avec  50 participants dont 75% de femmes , une journée de conférences et ateliers grands-public animés par 16 spécialistes dont certains venus de loin, autour de la technologie Blockchain  et ses cas d’usages « BlockFest by WHAT06 » qui a réuni 150 personnes dont 30% de femmes , ou encore le Trophées Women_in_Tech_Sud , au Palais des Festivals de Cannes, réunissant 150 projets, 250 invites lors de la soirée de remise des Trophées  dont 30 collégiennes et lycéennes. Aujourd’hui, certaines gagnantes de ces trophées font partie de « Quelques Femmes du Numérique » qui réunit 750 femmes travaillant dans la Tech.
Les actions en milieu universitaire et scolaire sont nombreuses, ainsi « Girls Tech Day by WHAT06 » où 100 collégiennes et lycéennes ont réalisé des expériences scientifiques afin de se rendre compte par elles-mêmes que les sciences et la Tech sont non seulement à leur portée mais que ce monde est passionnant.

D’autres évènements sont en préparation, des ateliers sur l’IA, la Cybersécurité, la Programmation de Robots ou 1 Escape Game numérique.
La priorité sera donné à l’organisation de rencontres avec des « rôles modèles » qui parlent de leur métier et montrent combien il est attractif et épanouissant.

(Crédit photo : WHAT06)