« Planétariens de toutes espèces, unissez-vous. Une cosmogonie pneumatique inspirée »
Ode au Terrien, au Vivant, au Souffle, sans lequel l’humanité n’est qu’inhumanité
Élever l’humanité à son intégration dans l’Être, élever l’humanité dans ce dont Nous (l’anthropocène et l’anthropoScène) avons fait le non humain, l’infra humain, alors qu’il s’agit d’ultra humain nous empêchant de promouvoir un nouvel égoïsme élevé à l’échelle de l’humanité qui serait dépourvu d’attention ou de compassion pour ceux qui ne relèvent pas de l’humain.
Il nous faut penser plus loin et autrement que les configurations dominantes assassines de l’humain et de l’Être, ouvrir l’humain aux valeurs éthiques (incluant la politique, la science, l’art, la sensibilité, la morale, le relationnel, l’intime même, les comportements), recentrées sur la Vie, en tant que processus interactif ouvert. Il faut l’ouvrir à un égalitarisme trans spécifique et trans naturel, post extra et supra humain, à l’universel planétaire, au Vivant.
Au Terrien.
Il nous faut penser l’exode anthropologique des configurations dominantes de l’humain, par hybridation, solidarités entre espèces appuyées sur l’environnement – tout à l’opposé du trans génétique, de la cyber tératologie, de l’IA, si peu « I », tellement « A ».
Il ne s’agit pas de prêcher le surhomme, mais bien l’Homme dans ce qu’il a toujours exclu comme inférieur, comme reste péjoré minoré (la nature, la femme, le racisé…). Nous ne pourrons devenir humain-s qu’en renonçant à notre sur humanité (domination et destruction) qui n’est que sous humanité nous empêchant de devenir ce que nous pourrions être en nous intégrant à l’Être.
L’homme hors de l’Être n’est que sous-homme.
L’homme dans l’Être n’est pas un sur-homme, mais tout juste, enfin, l’Humain.
Et l’Humain ainsi entendu est dynamique, construction.
Tel me semble être le sens qu’ont pris (Toyen, Leonora Carrington, Dorothéa Tanning), que prennent (Valérie Favre, Wangeshi Mutu, Yayoi Kusama), – et que prendront – (Jake et Dinos Chapman, Pipilloti Rist, Patricia Piccinini…) des artistes jouant aux voyants et voyantes cher-e-s à Rimbaud.
A l’aune de notre passé et de notre présent, que signifie voir ? Que signifie comprendre ? Comment dépasser les regards séparés, ennemis, le visible et les pertes de vue, les canons des regards quand importent désormais les mille yeux du paon ?
Un art humain est peut-être moins de l’art qu’une éthique, une politique éthique – la rencontre de toutes les altérités, l’intelligence avec l’extra humain, le Vivant.
Notre question n’est plus la bonne vieille antienne kantienne : qu’est-ce que l’humain ? Mais que puis-je faire ? Comment vivre ? Comment vivre avec l’ensemble du Vivant ? Comment dépasser l’humain séparé, limité, aveugle, aveuglant ? Comment faire quelque chose de ce que l’on fait de nous ? A partir de quelles fictions, nous, l’espèce fabulatrice centrée sur le sens, fabriquer encore de la liberté ?
Nous voyons bien que notre question est désormais la mise en question de l’humain même. Nous ne pouvons plus prétendre regarder seuls et seules, comme une humanité de cyclopes, de trompe l’œil, de m’as-tu vu. Nous devons ouvrir nos yeux aux autres yeux qui regardent dans la nuit, les bêtes, les arbres, les pierres, les étoiles, la mer, la montagne, le ciel.
Nous le devons à Laïka, envoyée mourir dans l’espace avec ses frères et sœurs chien-ne-s et singes sacrifié-e-s à la « conquête de l’espace » ; à Dolly, mère du monde cloné à venir, à l’onco souris, sacrifiée au profit de Big Pharma. Nous le devons au genre animal en train de disparaître, à la plus petite abeille, à la plus grande baleine. Nous le devons à l’ensemble de l’Etre.
Nous ne pourrons commencer à voir qu’en invitant l’ensemble du vivant à nous ouvrir les yeux.
De nous inviter à l’Être, de nous inviter à Etre.
« Aussitôt après que l’idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes, et dit sa prière à l’arc-en-ciel, à travers la toile de l’araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient – les fleurs qui regardaient déjà.
Dans la grande rue sale, les étals se dressèrent, et l’on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, aux abattoirs, dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres.
Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent.
Les « mazagrans» fumèrent dans les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante, les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et, sur la place du hameau, l’enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l’éclatante giboulée.
Madame *** établit un piano dans les Alpes.
La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent.
Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle. Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym – et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c’était le printemps.
Sourds, étang – écume, roule sur le pont et passe par-dessus les bois – draps noirs et orgues, éclairs et tonnerres, montez et roulez – eaux et tristesses, montez et relevez les déluges.
Car depuis qu’ils se sont dissipés – oh, les pierres précieuses s’enfouissant, et les fleurs ouvertes ! – c’est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu’elle sait, et que nous ignorons ! »
(Arthur Rimbaud, Les Illuminations. Après le Déluge)
Le vide et le plein, le fond et la forme, le trait et l’espace, c’est l’illustration en peinture de la cohabitation des différents types d’êtres (minéraux, végétaux, animaux, humains, spirituels) dans l’Être, et de leur compénétration réciproque à l’intérieur de leur milieu commun, l’air. Pour ne plus respirer l’agonie du monde, proposer le partage du Souffle de l’ensemble des vivants, avec l’ensemble des vivants, la sortie de la métaphysique instaurée entre les différents états qui peuplent l’Être se dit désormais : « Je vous respire donc je suis, Nous Nous respirons donc Nous sommes ».
Il s’agit bien là d’un programme d’éveil, d’une nouvelle respiration avec et du Monde, d’un programme de conscience-s, également, par l’interrogation des grandes machines de représentation, machines de torture soumettant l’Être à la question, au patron et canon de la vérité. Pour produire à la fin une histoire de la spécificité humaine, une limite du et des mondes possibles, une systématique et une combinatoire guerrière pour bâtir des histoires qui fonctionnent, telle celle de la lance l’emportant sur le sac, chère à Ursula Le Guinn.
Programme de conscience-s, car questionnement sur ce qui est donné comme donné, historicisation et politisation du geste qui consiste à dominer et contraindre les autres humains et humaines, la nature, à questionner la nature de la non nature, la non nature de la nature, les zones de contrainte, les ressources, la matière nécessaire pour l’action humaine, le champ de l’imposition du choix et le corollaire de l’esprit, le modèle, la morale qui en découle.
Il faut questionner le questionner, transformer la forme du regard et d’appréhension du phénomène, les tropes, les modalités qui fixent l’objectivité, la relativité et la faillibilité des certitudes, (« l’homme est configurateur de monde, l’animal est pauvre en monde, la pierre est sans monde » a ainsi pu oser penser Heidegger), la fable de l’idée du sujet cohérent, le kaléidoscope des narrations, la matière et l’esprit de la composition du monde, la politique des relations que nous déployons à un endroit quand nous le définissons comme notre, les dimensions affectives, sensibles, cognitives, politiques, avec l’humain-autre comme avec le non humain, la responsabilité, la redevabilité, définir le commun comme un devenir en commun.
Il faut revisiter l’invisible, projetant sa lumière dans l’éblouissement des banalités consacrées aujourd’hui comme des évidences, enfonçant les portes fermées, soulevant le tapis d’ombre où l’historien de l’art cachait ses incompréhensions épistémologiques comme poussière superflue. Il faut appeler les hommes à la rescousse, souhaitant renouer les formes de la conscience collective, la nécessité des luttes, la mobilisation nécessaire à propos du monde que nous souhaitons pour le Nous : co-habitation, co-évolution, co-création, sociabilité inter espèces et inter existants, animalhomme, mineralhumain, végéthumanité – Souffle.
Ce penser-naturer, cette pratique esthétique post contemporaine, post individualiste post consumériste, revendicative, affirmative et interrogative à la fois et en même temps, dynamique, sans cesse changeante, jamais ne se répétant, sans cesse ouverte à l’interrogation, à l’étonnement, l’émerveillement, la surprise du monde (et de l’humain), est une pensée in-quiète d’elle-même, interpellant l’évidence humaine non interrogée, la misère du monde, la souffrance, la méchanceté – l’inhumanité. Une pensée de l’impensé, peut-être de l’impensable. Une pensée respirant et se gonflant au souffle de l’espérance. « Une confiance d’enfant, une confiance qui va au-devant (…), un soulèvement par-dessus soi, par-dessus tout (…) qui est en même temps un acquiescement sans borne, apaisant et excitant (…), et pourtant à avoir peur que la poitrine ne cède dans cette bienheureuse joie excessive… » (Michaux, 1957, 57).
Dans cette collection de figures pour une nouvelle mythologie critique, c’est le point de vue du Vivant, des mondes que nous avons en commun et dans lequel et lesquels nous devenons ensemble – éléments, parties prenantes, partenaires, colocataires, co-vivants, inter-vivants – hors de toute idée de domination, qui constitue une ontologie simultanée réciproque.
« Animaux, végétaux, minéraux, humains, esprits de toute l’anthropocène, Planétariens, unissez-vous!»
Charlie Galibert
« L’HOMME DU MONDE ou « NOUS AUTRES ». Pour une nouvelle alliance entre les vivants,https://www.ilsileno.it/edizioni/wp-content/uploads/2022/05/Charli-e-Galibert_IlSileno-Edizioni.pdf
« ANTHROPOCÈNE ET ESTHÉTIQUE DE LA DOMINATION.Le nu et le corps dans l’art », http://www.ilsileno.it/geographiesoftheanthropocene/monographic-volumes/)