Sur mon balcon, face au Levant, je sirote un café à peine levé.
Le soleil s’élance déjà bien haut. Les beaux jours sont de retour.
Je les vois soudain émerger du tronc de palmier étêté au sommet duquel, c’est confirmé, se préparait une couvée.
Deux petites têtes d’oisillon.
Mon cœur ne fait qu’un bond. Car nous guettions ce moment d’une nichée en suspens.
Creusé depuis le haut, érodé par les intempéries, élargi par picorements, le sommet de ce palmier, promis à un abattage qui ne venait jamais, s’était fait nid naturel. Ne nécessitant pour une couvée aucun effort de construction.
Un goéland y était installé depuis des semaines, dans l’attitude typique de l’oiseau qui couve et protège.
Mais nous étions interrogatifs. Les goélands ont besoin d’une aire importante et haut placée pour les premiers décollages. Des années d’observation nous l’avaient enseigné.
Il nous semblait que des oisillons qui devaient éclore au sommet de ce totem isolé ne pouvaient que se retrouver prisonniers.
J’émis l’hypothèse de leur déplacement ultérieur par les parents vers le futur lieu stratégique de leurs premiers essais de vol. En l’occurrence, les toits de tuile environnants.
Pour l’heure, l’urgence n’était pas là.
Les piaillements aigus réclamaient nourriture.
Les goélands se relayaient, certains en manœuvre d’intimidation incluant mon balcon, sécurisant l’espace de leurs rondes et de leurs cris.
Je préparais un dossier pour mon média dont le titre était « Îlots de reconquête et poches de résilience ».
J’avais d’abord pensé uniquement aux expériences d’écoquartier et de tiers-lieu.
Mais la vie sauvage aussi m’interpellait à nouveau.
Elle était bien là. Sous mes yeux. Au centre même de la cinquième ville de France.
Elle n’était balisée d’aucun parcours pédagogique, aucun guide, ni ne bénéficiait de la surveillance de gardes dûment assermentés.
La vie sauvage s’imposait.
Malgré notre 5G et les promesses de notre intelligence artificielle. Malgré les NFT et les métavers.
J’avais déjà été ému de la présence un matin d’un pic-vert martelant ce même palmier-pilier. C’était la toute première vois que j’observais cette espèce en plein centre-ville.
Et pourtant, le petit oasis de verdure en contrebas accueillait une gente ailée des plus variée, outre les goélands et les pigeons : pies, merles, martinets, étourneaux, tourterelles et autres petits passereaux.
La vie sauvage est à nos portes.
Et cela me donne encore de l’espoir.
Le bulldozer anthropique n’a pas encore tout ratissé.
Tout dévasté.
Tout aplani.
Sur les toits environnants, poseurs de tuile et promoteurs aménageurs de comble avaient fait fuir les goélands, habituels locataires de ces pentes tuilées.
En contrebas, l’on mène une opération d’étanchéification du toit d’une ancienne imprimerie.
Dans les alentours, les rues sont éventrées afin que la fée électricité nous serve mieux.
Ça désamiante en tenue de protection, ça perce, ça éventre.
Chaos des marteaux-piqueurs et tourments des perceuses.
Au sommet d’un palmier mort depuis longtemps, un couple de goélands viennent à nouveau d’entrer dans leur vie de jeunes parents.
Vie sauvage.
Telle sera votre raison d’être chers petits oisillons.
Puisse cela être permis aussi longtemps que cette planète sera l’improbable nid du vivant.
Nice, le vendredi 29 avril 2022