La sobriété d’humeur(s)

Tandis que tous les médias, suivant les élans écologistes et désormais les incitations du Gouvernement nous incitent à la sobriété dans nos pratiques quotidiennes de consommation, notamment énergétique, et si nous prenions un autre angle ? Celui de la sobriété des humeurs.

Nos excès de consommation ajoutés aux impacts géopolitiques et économiques des conflits et, en l’espèce de la guerre en Ukraine, nous obligent à reconsidérer notre consommation énergétique. Et si nous faisions un pas de côté ? 

A cette décroissance souhaitée par les uns et imposée pour les autres, nous sommes invités à la mesure, au raisonnable. En cela, cela représente bien les conséquences de ce changement majeur de paradigme de civilisation dont nous sommes contemporains. Nous sommes passés de la modernité, au mythe prométhéen du progrès, de la science caractérisée par une industrialisation à outrance et une prédation « normale » des ressources naturelles, au rappel fait par Michel Serres ou Elisée Reclus « nous sommes le vivant qui prend conscience de lui-même »[1]. Nous sommes partie prenante du vivant et si nous continuons à détruire la biodiversité, notre avenir est bien compromis. La Terre se remettra de notre disparition, nous, nous risquons de ne pas être prêts.

La guerre en Ukraine nous conduit à prendre davantage conscience de nos interdépendances mondiales pour nos ressources, essentielles, voire vitales. En avoir un accès réduit, nous freine, nous limite et nous rappelle notre condition humaine, finie, que nous pensions avoir pu dépasser avec l’élan démiurgique moderne, puis transhumaniste. Au « Dieu est mort » de Nietzsche, nous nous sommes convaincus que nous pouvions le remplacer. Et tout comme Icare, nous nous sommes brûlés les ailes. Nous retombons douloureusement sur le sol de la Terre, bien réel et qui nous rappelle les limites de tout ce qui est vivant, à savoir fini et mortel.

Quelle blessure narcissique !

Ceci pourrait nous conduire à des fraternités et à penser de manière transdisciplinaire des solutions, certains travaillent dans ce sens mais pour une grande majorité, il est surtout question de s’opposer de toutes les manières, entraînant clivages, communautarismes, séparatismes de tout poil. Et ces incompréhensions, voire ces rejets de l’altérité sont largement amplifiés par les réseaux sociaux dont les algorithmes sont programmés pour faire caisse de résonnance à ce qui crée le plus de clivage.

Si nous développons des solidarités c’est que nous reconnaissons les évidences et que nous cherchons, consciemment à apporter des réponses.

Cependant, cela pourrait passer par cette prise de conscience qui plonge dans l’éco-anxiété. Il vaut mieux encourager les distractions et les nouveaux jeux du cirque en clivant toutes les singularités humaines.

Alors, une piste.

Et si ces crises répétées nous invitaient aussi et peut-être essentiellement à une sobriété d’humeurs ? Et si à la blessure narcissique nous répondions autrement que par une selfie-obésité obscène de tous les détails de notre quotidien créant une pollution numérique qui a un impact significatif sur notre empreinte carbone, équivalent à l’aéronautique[2] ? Et si nous apprenions à « piloter nos émotions » plutôt que de les laisser divaguer, s’épancher et chercher toujours des coupables pour assouvir nos maux ? Les thérapies publiques sont une nouvelle facette narcissique de cette intériorité découverte et mise en pâture sur les réseaux. Car si elles exorcisent les maux des uns elles incriminent bien vite les autres, clivant à nouveau et cédant, sans modération, à la vindicte et à l’accusation. Cet extime crée la surenchère et ne garantit pas la catharsis ni la guérison. Les tribunaux de sorcières de notre temps changent plusieurs fois par an de victimes. 

La sobriété serait alors, l’examen mature des blessures et des souffrances individuelles et collectives pour élaborer des dialogues constructifs et réparateurs dans lesquels chacun assumerait la part qui lui incombe sans prendre la terre entière à parti. Et si la sobriété invitait à la discrétion retrouvée, à la mesure, à l’économie de moyens pour respecter chacun ? Comprendre que ces extimes sont des manipulations algorithmiques qui nourrissent un capitalisme numérique[3] dont nous sommes les instruments et les objets.

Et si nous avons des blessures collectives à guérir, comment le faire en maturité, dans le respect de chacun afin de ne pas inverser la violence des victimes sur les bourreaux qui renverse la dynamique énergétique et participe à une inflation d’égos en colère ?

Et si la sobriété nous invitait à grandir en sagesse ? Reconnaître notre condition humaine, finie, abandonner cette illusion de se croire immortel et divin, accepter d’être un maillon du vivant et plutôt que de nous croire supérieurs, accepter la responsabilité et l’impact de la conscience sur le reste de la nature. Alors responsabilité et engagements riment avec sobriété et discrétion. Préférer le silence et agir en justesse. Nous redresser comme sujets pensants et choisir une liberté, sobre en dépense énergétique, d’humeur.s….


[1] La citation exacte : « L’homme est la nature qui prend conscience d’elle-même. » Elisée Reclus.

[2] https://www.greenly.earth/blog-fr/empreinte-carbone-numerique?utm_term=&utm_campaign=perf-max-fr&utm_source=google&utm_medium=cpc&utm_content=&utm_term=&utm_campaign=1:+PM+%7C+2:+Performances+Max+%7C+3:+Perf+Max+FR+%7C+4:+FR&utm_source=adwords&utm_medium=ppc&hsa_acc=8929442750&hsa_cam=16819111376&hsa_grp=&hsa_ad=&hsa_src=x&hsa_tgt=&hsa_kw=&hsa_mt=&hsa_net=adwords&hsa_ver=3&gclid=Cj0KCQjwnP-ZBhDiARIsAH3FSRfUmynkpQ8tm5bo8iBhYfEJEVq9Z2VfzPoH5tHj661RoX8b-knsCbAaAm09EALw_wcB

[3] Daniel Cohen, Homo nurericus, Albin Michel, 2022.