Mars 2020, l’épidémie de Covid-19 s’abat sur la France. Pour faire face au virus, il faut d’urgence se procurer des masques, des blouses, des médicaments et des tests. Compte tenu du volume des besoins, ces équipements viennent rapidement à manquer et la pénurie s’installe pendant des semaines. Cette crise sanitaire, révélatrice, nous permet de voir l’ampleur de la désindustrialisation de notre pays. La reconquête de notre souveraineté industrielle et de réindustrialisation du pays, notamment en encourageant les relocalisations devient la réponse gouvernementale française à la crise économique déclenchée par la pandémie Covid-19. Et si la réponse se trouvait du côté de la société civile, des entrepreneurs et ou encore des créatifs culturels…
Souveraineté industrielle à la française
Après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie en France est perçue « comme un garant de la souveraineté de la nation et un outil pour la modernisation du pays ». Et aujourd’hui ? pour reprendre quelques termes de Jérôme Fourquet dans son livre La France sous nos yeux (Seuil, 2021) ; une France rêvant d’Amérique dans laquelle McDonald’s, Hollywood, Netflix sont devenus des références majeures ; une France dont la gastronomie est remplacée par des burgers, de la pizza, du kebab ou encore du tacos. Une économie de loisir et de divertissement dans laquelle le territoire devient lui-même ressource support de consommation et de marketing : festivals, événements culturels, parcs d’attractions, centres commerciaux… Bref, une France fabless de la présidence de François Mitterrand, à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, à celle d’aujourd’hui. Nos gouvernements ont ainsi participé à leur échelle à notre désindustrialisation en développant parallèlement une France de loisirs, de services et de logistiques, offrant aux générations futures des héritiers sans héritage, ou comment la jeunesse devient une communauté́ de destin : la génération du passage à l’acte.
Les entrepreneurs de l’industrie 4.0 changent le monde !
A travers des initiatives locales d’entrepreneurs, se créée un écosystème résilient. C’est en 2021 que naît le courageux Collectif Startups Industrielles France (CSI) à la suite de la publication d’une tribune écrite par l’incroyable et inspirante Éléonore Blondeau, Présidente et co-fondatrice, qui met en avant les problèmes systémiques des territoires, de l’industrie et les startups de l’ombre ; celle que l’on nomme aujourd’hui les startups industrielles. Un éveil des consciences s’opère ; leurs difficultés les placent sous les feux des projecteurs : elles ne correspondent pas aux canons de beauté des Vcs (fonds d’investissement), l’application des normes, certifications et homologations les concernant sont illisibles et complexes, elles manquent de financements en fonds propres, elles rencontrent des difficultés à accéder à des locaux immobiliers adaptés, les territoires sont inégaux pour déployer les moyens dont elles ont besoins… Pour donner suite à ces nombreux constats le collectif se construit autour du leitmotiv suivant : Agir aujourd’hui, pour ne pas subir demain ! Investir dès maintenant dans la transformation de notre économie et de nos territoires en passant par des actions résilientes, sobres et citoyennes, formant à terme un immense réseau de petites révolutions. Composé d’entrepreneurs qui transforment le terrain, le Collectif Startups Industrielles France (CSI) porte La vision de promouvoir et faire évoluer l’écosystème startup en faveur des projets industriels circulaires par le biais d’actions concrètes pour qu’avant ne soient plus comme après. L’une des proposition clé : La création de Fonds d’amorçage industriels à capital patient (min 8 ans) sur le modèle « evergreen » (ticket de 1 à 5M€, entre 500-800M€ pour financer une centaine de projets existants puis une vingtaine de nouveaux par an avec une rotation du capital sur 8 ans.).
Des travaux pionniers et uniques en leur genre ! Ils mettent en avant tous les trous dans la raquette, mais surtout ils permettent de revoir les véhicules d’investissement en France. En effet, à travers ces travaux porteurs de sens, le collectif met ainsi en lumière le manque d’offres diversifiées dans le financement des startups. Tout le monde propose la même chose, le même type de financement qui est uniquement adapté pour les startups numériques et non pour celles issues de l’industrie. Alors qu’il existe dans le monde d’autres modèles de financement et il faut s’en inspirer. A ce jour, nous devons adapter le projet en fonction des financements proposés et rentrer dans la case. Ne faudrait-il pas penser différemment et adapter les outils de financement en fonction des projets ?
Ce collectif a décidé de vivre autrement en sortant de l’hyper-consumérisme et en réinventant le monde des startups industrielles pour rentrer dans l’Age de la grande métamorphose avec des solutions simples et facilement reproductibles ! Allons le visiter…
Quand les idées viennent du bas par des hommes et femmes qui ont repris en mains les enjeux qui les concernent !
Le Collectif Startups Industrielles France (CSI France), qui est un bel exemple de lien social, de fraternité et de résilience, démontre comment la startup industrielle permet de dégager en sobriété mais aussi en souveraineté pour construire une économie solide après 50 ans de désindustrialisation, de perte de compétences et de ressources techniques.
De nombreuses filières ont totalement disparu au cours des dernières décennies et la France n’a plus la capacité de fabriquer des quantités de produits et d’objets dont certains stratégiques pour notre souveraineté nationale comme les puces électroniques ou la production de certains matériaux rares. C’est peu dire que c’est grâce à la logique des makers (constructeurs) et des moyens sobres que l’on a réussi à produire des masques et à pallier le manque de disponibilités, le manque de moyen de la part des gouvernements. Cet exemple nous montre l’importance de pouvoir produire en France dans chaque région et surtout d’être autonome. Comme le Collectif l’a souvent exprimé, quand on veut on peut ! Pour cela il faudrait avoir les outils industriels dans chaque filière et chaque région. Dans cette logique il développe des outils d’empowerment (action sociale de transformation) pour favoriser l’amorçage industriel et impulser une dynamique par filière pour une industrie circulaire et raisonnée. Il promeut la durabilité dans les business model en abordant diffèrent thème : le besoin de valoriser différents types d’innovation, la nécessité de former les écosystèmes professionnels, le besoin majeur de former tous nos élus et de parler un langage commun. À ce titre le collectif met en place un glossaire universel. Mais aussi le besoin de recréer un imaginaire collectif autour de l’industrie pour expliquer qu’une industrie locale permet de regagner en souveraineté, en impact écologique et social et crée des emplois non délocalisables, et pour finir l’urgence de circulariser l’industrie. Il fait de l’open source et de la sobriété son cheval de bataille. Grâce au Collectif Startups Industrielles France, peu à peu, s’est construit une intelligence collective qui commence à intéresser les pouvoirs publics et inspirer les entreprises innovantes. Tout cet élan de transformation bottom-up (du bas) fait aujourd’hui de la société civile et des entrepreneurs des acteurs essentiels au changement social face à des pouvoirs publics qui semblent de moins en moins capables de penser le bien commun.
A terme, le collectif d’entrepreneurs pourrait devenir un contre-pouvoir qualifié qui partagerait et reproduirait des solutions de terrain, des « réseaux pensants » pour reprendre l’expression de Patrick Viveret, et impulser un changement radical de vision que Serge Latouche résumerait en 8 actions interdépendantes : réévaluer, relocaliser, re-conceptualiser, restructurer, redistribuer, réduire, réutiliser, recycler. Ce qui ferait émerger une société industrielle d’activistes : une génération positive qui pense au futur pour que l’Etat, les territoires, les institutions, nos élus ne soient plus uniquement qu’un support de consommation et de marketing. Car réussir la résilience territoriale et la souveraineté, c’est répondre à un besoin de société. Or on nous pousse à la course à l’innovation, des innovations qui ne correspondent pas à un besoin de société et qui enclenchent un gaspillage de temps, d’énergie et d’argent public.
Plus encore, l’Etat s’empare de ces sujets et en fait sa propre définition, sa propre campagne de communication techno-centré, galvaudant le terme résilient, oubliant les bases fondamentales de tous les peuples ; le lien social, la fraternité et son rôle majeur d’intérêt général, en pensant que la technologie nous sauvera tous !
Cela ne concerne pour lui que les « startups industrielles », les « startups fondamentales », c’est-à-dire celles qui sortent uniquement des laboratoires de recherche, les fameuses « deeptech», développant des innovations « disruptives » ou « de rupture ». Alors qu’il existe plein de startups industrielles, dont plusieurs membres du Collectif (CSI France), qui n’ont pas développés des technologies de rupture mais des innovations de rupture non technologiques ; comme les innovations de procédés, d’usage, de matières premières, de débouchés, de modes de production. Dans ce cas de figure, l’histoire se répète et le risque majeur est que les véhicules de financement, les budgets, les appels à projets ne soient créés que pour les startups dites « fondamentales », oubliant les autres. De manière pragmatique il faut autant recourir au High-Tech qu’au Low-Tech et redéfinir le rôle de l’industrie, et de la finance, au service de la Société.
Une nouvelle industrie à impact, l’industrie du Futur et des Possibles, une industrie résiliente !
Le Collectif Startups Industrielles France (CSI France), a incontestablement découvert sa force de transformation, il esquisse les contours d’une industrie plus écologique, plus participative, plus solidaire : ce sont les prémices du futur qui émergent et s’organisent.
Une question fondamentale se pose : L’Etat, ce stratège, financeur, et décideur est-il prêt à accueillir toutes les nouvelles idées qui viennent du bas, pour réindustrialiser la France et stopper la course à l’innovation gadget ?
Sur le terrain nous avons, grâce au Collectif Startups industrielles France (CSI France), de quoi faire un million de révolutions tranquilles pour réindustrialiser notre pays, comme le concept de Fabrication distribuée de la talentueuse Adelaide Albouy-Kissi qui prône la « résilience productive des territoires » avec la conception d’un produit en open source (accessible en ligne par tous), permettant sa fabrication localement parce que les plans seraient rendus accessibles. Ce qui permettrait au territoire de produire, de ne plus être dépendant et de gagner en sobriété, en flexibilité et en économie circulaire.
Pour stopper cette course à l’innovation gadget et ne plus reproduire les erreurs du passé, Il serait intéressant, tout comme le pense le collectif, que les décideurs qui votent des lois, les financiers qui flèchent les budgets, prennent la place des entrepreneurs et des chefs d’entreprises pendant 1 mois, une sorte de « Vie ma vie », pour ne plus être déconnecté de la réalité terrain. Celle des chefs d’entreprise au quotidien. Il apparaît nécessaire de déléguer certaines prérogatives régaliennes aux startups industrielles, à nos fleurons industriels et de définir avec les acteurs terrains les principes de la relance économique et, partant, d’identifier les secteurs à soutenir en priorité.
- Une industrie de la résilience, garantissant la capacité de continuer à vivre, fonctionner, se développer et s’épanouir après un choc ou une catastrophe en promouvant notamment les approches locales basées sur de nouvelles proximités et capacités de production locales repensées ainsi que des approches low-tech permettant de fonctionner en mode dégradé.
- Une industrie durable et bas carbone qui s’appuie sur des activités sobres en ressources, dont la gestion est sans préjudice pour l’Homme et l’Environnement et qui recherche une réduction ambitieuse et volontariste de l’intensité de l’impact environnemental et énergétique de nos activités.
Un monde nouveau est en train d’émerger à l’échelle micro.
Concours d’ego, copinage, pouvoir, influence, licornes, devenir le numéro 1 mondial de la TECH… Le modèle actuel de développement démontre ses échecs. La politique montre aussi son incapacité, son absence de volonté à répondre par le haut aux grands enjeux de notre planète. La solution pour ne pas tomber dans la résilience passe-partout est donc d’y répondre par le bas à l’échelle locale en créant des outils d’empowerment. Selon Spinoza il existe deux émotions fondamentales : la peur et la joie. La stratégie est d’amener la force d’attraction et de démonstrations du côté de la transformation et non de la peur. Il faut concevoir le changement comme un projet d’invitation à la vie, l’enjeu est de créer une dynamique de conversion, une énergie attractive comme Gandhi a su le faire.
Pour produire en France, éco-concevoir et réussir cette mutation il faudrait associer plusieurs paramètres : résistance créatrice, vision transformatrice, expérimentation anticipatrice et évolution démocratique.
Atteindre une résilience territoriale c’est intégrer dès le départ une mixité et une diversité des boards pour améliorer la prise de décision, les feuilles de routes et les plans d’actions locaux industriels. La Métropole de Lyon en est un bel exemple !
Réussir la résilience avec la société civile, les créatifs culturels, des coopérateurs ludiques, des hommes et des femmes de tous horizons : des ingénieurs, des techniciens, des opérationnelles, des makers, des citoyens, des agents de la fonction publique… Ils sont des forces de transformation. Un grand merci à tous ces hommes et ces femmes qui chaque jour font avancer l’industrie Française. Merci au Collectif Startups Industrielles France (CSI France) d’exister et à Éléonore Blondeau pour m’avoir aiguillé dans cette tribune.